6

 

 

Ayla était consternée. Les quatre autres enfants plus jeunes se tenaient autour d’elle et la regardaient avec des yeux ronds, l’air effrayé.

— Qui a construit votre hutte, l’année dernière ? demanda Jondalar.

— Laramar et moi, répondit Bologan. Et deux de ses amis, à qui il avait promis du barma.

— Pourquoi ne le fait-il pas, cette année ?

Le garçon haussa les épaules. Ayla se tourna vers Lanoga.

— Laramar s’est disputé avec ma mère, expliqua la fillette. Il a dit qu’il logerait dans une des lointaines, avec les hommes. Il a pris ses affaires, il est parti. Ma mère lui a couru après et elle n’est pas revenue.

Ayla et Jondalar échangèrent un regard, hochèrent la tête sans dire un mot. Ayla posa Jonayla sur sa couverture à porter et le couple se mit à l’ouvrage avec les enfants. Jondalar se rendit bientôt compte qu’ils utilisaient les poteaux de leur tente de voyage, ce qui ne suffirait pas pour construire une hutte. Mais ils ne purent pas non plus monter la tente parce que la peau de bête humide était trouée, les nattes de sol en lambeaux. Ils devaient tout fabriquer – les panneaux, les nattes et le toit – avec des matériaux trouvés sur place.

Jondalar commença par chercher des poteaux, en récupéra deux près de leur hutte puis abattit quelques arbres. Lanoga n’avait jamais vu quelqu’un tresser des nattes et des panneaux comme Ayla, ni aussi vite, mais la fillette apprit rapidement d’Ayla comment s’y prendre. Trelara, âgée de neuf ans, et Lavogan, sept ans, apportèrent eux aussi leur contribution après qu’on leur eut donné des instructions, mais ils aidèrent surtout Lanoga à s’occuper de Lorala, un an et demi, et de son frère Ganamar, trois ans. Bologan remarqua sans faire de commentaires qu’avec la technique de Jondalar la hutte était bien plus solide que celle qu’il avait essayé de construire auparavant.

Ayla s’arrêta pour donner le sein à Jonayla ainsi qu’à Lorala puis fit manger les autres enfants avec ses provisions puisque, apparemment, leurs parents n’en avaient pas apporté. Jondalar et elle durent allumer deux feux afin d’y voir assez pour finir le travail. Lorsqu’ils eurent presque terminé, des Zelandonii revenaient du camp principal. Ayla était retournée à sa hutte pour couvrir Jonayla plus chaudement car il commençait à faire frais. Elle venait de poser le bébé sur une natte lorsqu’elle vit un groupe approcher. Proleva, portant Sethona sur la hanche, marchait en compagnie de Marthona et de Willamar, qui tenait une torche d’une main et guidait Jaradal de l’autre.

— Où étais-tu, Ayla ? demanda Proleva. Je ne t’ai pas vue au camp principal.

— Nous n’y sommes pas allés. Nous avons aidé Bologan et Lanoga à construire leur hutte.

— Bologan et Lanoga ? s’étonna Marthona.

Ayla expliqua la situation sans cacher sa colère.

— Où est leur hutte ? demanda Willamar.

— À la lisière du camp, près des chevaux, répondit Ayla.

— Je m’occupe des enfants, dit Marthona à Proleva. Willamar et toi, allez donc voir ce que vous pouvez faire. Ayla, je m’occupe de Jonayla, si tu veux.

— Elle est presque endormie, dit Ayla en indiquant l’endroit où se trouvait le bébé. Les enfants de Tremeda auraient besoin de plus de nattes, d’autant qu’ils n’ont pas assez de fourrures de couchage. Quand je suis partie, Jondalar et Bologan terminaient le toit.

Le trio se dirigea vers la petite habitation et entendit Lorala pleurer. Pour Proleva, c’étaient les vagissements d’un bébé qui était épuisé et avait peut-être faim. Lanoga la tenait dans ses bras et s’efforçait de la calmer.

— Laisse-moi voir si elle veut téter, proposa Proleva.

— Je viens de la changer, je lui ai mis de la laine de mouton pour la nuit, dit Lanoga en tendant la petite à la compagne de Joharran.

Quand on lui offrit le mamelon, l’enfant l’aspira goulûment. Depuis que le sein de sa mère s’était tari, un an plus tôt, plusieurs femmes se relayaient pour l’allaiter et elle avait pris l’habitude de téter toutes les femmes qui se proposaient. Elle mangeait aussi quelques aliments solides qu’Ayla avait appris à Lanoga à préparer. Malgré un départ difficile dans la vie, Lorala était une enfant heureuse, sociable et en pleine santé, quoiqu’un peu sous-développée. Les femmes qui la nourrissaient en tiraient fierté car elles savaient qu’elles y avaient contribué. Elles l’avaient maintenue en vie mais Proleva savait que c’était Ayla qui en avait eu l’idée après avoir découvert que Tremeda n’avait plus de lait.

Ayla, Proleva et Marthona trouvèrent des peaux et des fourrures dont elles acceptèrent de se séparer pour les enfants et leur donnèrent des provisions. Willamar, Jondalar et Bologan ramassèrent du bois pour eux.

La hutte était presque finie quand Jondalar vit Laramar approcher. Celui-ci s’arrêta à quelque distance, regarda le petit abri d’été et fronça les sourcils.

— D’où ça vient ? demanda-t-il à Bologan.

— On l’a construit, répondit le garçon.

— Vous n’avez pas fait ça tout seuls.

— Non, nous les avons aidés, intervint Jondalar. Puisque tu n’étais pas là pour le faire.

— Personne ne t’a demandé de t’en mêler, répliqua Laramar.

— Ces enfants n’avaient pas d’endroit où dormir ! s’indigna Ayla.

— Où est Tremeda ? Ce sont ses enfants, c’est elle qui doit s’occuper d’eux.

— Ce sont les enfants de ton foyer, rétorqua Jondalar avec dégoût en tâchant de maîtriser sa colère. Tu en es responsable et tu les as laissés sans abri.

— Ils avaient la tente de voyage, se défendit Laramar.

— Le cuir en est pourri, il s’est déchiré une fois mouillé, et ils n’avaient pas de quoi manger non plus, accusa Ayla.

— J’ai cru que Tremeda leur apporterait quelque chose, se justifia Laramar.

— Et tu te demandes pourquoi tu occupes le dernier rang de la Caverne ? lui lança Jondalar avec mépris.

Loup perçut la tension entre les membres de sa meute et cet homme qu’il n’aimait pas. Le nez froncé, il se mit à gronder en direction de Laramar, qui fit un bond en arrière pour se mettre hors de portée.

— Qui es-tu pour me dire ce que je dois faire ? riposta-t-il. Je ne devrais pas être au rang le plus bas. C’est de ta faute. Tu es soudain revenu de ton Voyage avec une étrangère, et ta mère et toi, vous avez comploté pour la placer devant moi ! Je suis né ici, pas elle. C’est elle qui devrait avoir le rang le plus bas. Certains la trouvent peut-être exceptionnelle mais moi je pense que quelqu’un qui a vécu chez les Têtes Plates est une abomination, et je ne suis pas le seul. Je n’ai pas à te supporter, Jondalar, ni toi ni tes insultes.

Il se retourna et s’éloigna à pas pesants.

Après son départ, Ayla et Jondalar se regardèrent.

— Il y a du vrai dans ce qu’il dit ? demanda-t-elle. Je dois être rangée au plus bas parce que je suis une étrangère ?

— Non, tu as apporté ta dot, souligna Willamar. À elle seule ta robe de Matrimoniale te placerait parmi ceux ayant le statut le plus élevé de n’importe quelle Caverne, mais tu as aussi prouvé ta propre valeur. Si tu avais commencé au rang inférieur d’étrangère, tu n’y serais pas restée longtemps. Ne te soucie pas des propos de Laramar sur ta place parmi nous, tout le monde connaît son statut. Laisser ces enfants se débrouiller seuls sans nourriture ni abri en apporte la confirmation.

Au moment où ceux qui avaient construit l’abri d’été se préparaient à regagner leur propre hutte, Bologan toucha le bras de Jondalar. Le compagnon d’Ayla se retourna, vit le garçon baisser les yeux et son visage devenir d’un rouge profond perceptible même à la lueur du feu.

— Je… euh… je voulais juste dire… C’est une belle hutte, la meilleure qu’on ait jamais eue, bredouilla Bologan avant de rentrer prestement dans l’abri.

Sur le chemin du retour, Willamar murmura à Jondalar :

— Je crois qu’il essayait de te remercier. Je ne suis pas sûr qu’il ait déjà remercié quelqu’un avant. Ni même qu’il sache comment faire.

— En tout cas, il s’en est bien tiré.

 

 

La journée s’annonçait claire et ensoleillée. Après le repas du matin, après avoir vérifié que les chevaux ne manquaient de rien, Ayla et Jondalar eurent envie d’aller au camp principal voir qui était arrivé. Elle enveloppa Jonayla dans sa couverture, la cala sur sa hanche, fit signe à Loup de les accompagner et ils se mirent en route.

Dès qu’ils approchèrent du camp, on commença à les saluer et elle prit plaisir à reconnaître un grand nombre de visages, contrairement à l’année précédente, où elle ne connaissait quasiment personne. Parce que la Neuvième Caverne changeait régulièrement de lieux pour les Réunions d’Été et que d’autres groupes de Zelandonii faisaient de même, la participation était différente d’une année à l’autre en un endroit donné.

Ayla croisa des gens qu’elle était sûre de n’avoir jamais vus. Ceux-là regardaient fixement Loup mais, d’une manière générale, l’animal était accueilli par un sourire, surtout par les enfants. Il restait près d’Ayla, qui portait le bébé à qui il était profondément attaché. Les groupes nombreux comprenant des inconnus le mettaient mal à l’aise. L’instinct qui le poussait à protéger sa meute s’était renforcé à mesure qu’il prenait de l’âge et que divers incidents avaient marqué sa vie. En un sens, la Neuvième Caverne était devenue sa meute, et le territoire qu’elle habitait le sien, mais il ne pouvait pas protéger tout le groupe, encore moins les nombreuses autres personnes qu’Ayla lui avait « présentées ». Il avait appris à ne pas les traiter avec hostilité mais ils étaient trop nombreux pour correspondre à sa notion instinctive de meute. Il avait donc décidé que ceux qui étaient proches d’Ayla étaient sa meute, ceux qu’il devait protéger, en particulier le petit jeune, qu’il adorait.

Bien qu’elle leur eût rendu visite peu de temps avant le départ, Ayla fut heureuse de voir Janida, qui portait son bébé, et Levela. Les deux jeunes femmes bavardaient avec Tishona. Marthona lui avait dit que des liens spéciaux se nouaient entre les couples qui s’étaient unis aux mêmes Matrimoniales et c’était vrai. Les trois femmes accueillirent Ayla et Jondalar en les prenant dans leurs bras et en pressant une joue contre la leur. Tishona avait tellement l’habitude de voir Loup qu’elle le remarqua à peine mais les deux autres, encore un peu effrayées, le saluèrent de manière démonstrative sans toutefois tenter de le toucher.

Janida et Ayla échangèrent des compliments sur leurs bébés : comme ils étaient beaux, comme ils avaient grandi. Ayla remarqua que Levela s’était transformée, elle aussi.

— Il semble que tu ne tarderas pas à avoir le tien, lui dit-elle.

— Je l’espère, répondit Levela. Je suis prête.

— Je t’assisterai, si tu veux. Et ta sœur Proleva aussi.

— Notre mère est là également, j’ai été contente de la voir. Tu connais Velima, je crois ?

— Pas très bien.

— Où sont Jondecam, Peridal et Marsheval ? demanda Jondalar.

— Marsheval est allé avec Solaban voir une vieille femme qui sait beaucoup de choses sur la sculpture de l’ivoire, répondit Tishona.

— Jondecam et Peridal vous cherchent, dit Levela. Ils ne vous ont pas trouvés, hier soir.

— Rien d’étonnant, nous n’étions pas là, dit Jondalar.

— Vraiment ? Mais j’ai vu beaucoup de gens de la Neuvième Caverne.

— Nous sommes restés à notre camp, expliqua Jondalar.

— Pour aider Bologan et Lanoga à construire une hutte d’été, ajouta Ayla.

Jondalar fut légèrement contrarié qu’elle parle aussi ouvertement de ce qu’il considérait comme un sujet confidentiel pour leur Caverne. Il n’y avait rien de mal à les évoquer, mais il avait été élevé par un chef et il savait que la plupart des chefs se sentaient personnellement responsables des difficultés internes de leur Caverne qu’ils n’avaient pas réussi à résoudre. Cela faisait quelque temps que Laramar et Tremeda posaient un problème à la Neuvième Caverne et ni Marthona ni Joharran n’avaient pu y faire quoi que ce soit. Le couple y vivait depuis de nombreuses années, il était parfaitement en droit d’y rester. Comme il s’y attendait, les propos d’Ayla suscitèrent la curiosité des jeunes femmes.

— Bologan et Lanoga ? fit Levela. Ce ne sont pas les enfants de Tremeda ? Pourquoi vous êtes-vous occupés de leur hutte ?

— Où étaient Laramar et Tremeda ? demanda Tishona.

Ayla résuma la situation :

— Ils se sont disputés, Laramar a décidé de s’installer dans une lointaine. Tremeda l’a suivi et elle n’est pas revenue.

— Je crois que je l’ai vue, dit Janida.

— Où ?

— À la lisière du camp, près d’une des lointaines, en compagnie de quelques hommes qui jouaient et buvaient du barma.

Janida parlait à voix basse et semblait gênée. Elle releva son bébé et le regarda un moment avant de poursuivre :

— Il y avait aussi deux autres femmes. J’ai été surprise de la voir parce que je sais qu’elle a de jeunes enfants. Je ne crois pas que c’était le cas pour les deux autres.

— Tremeda en a six, dont le plus jeune ne compte qu’un an et demi.

— Vous leur avez construit une hutte rien qu’avec ce que vous avez trouvé sur place ? fit Tishona, admirative.

— Une petite, précisa Jondalar avec un sourire. Juste pour leur famille. Personne ne veut habiter avec eux.

— Rien d’étonnant, déclara Levela. Quelle honte ! Ces enfants ont vraiment besoin d’aide.

— La Caverne les aide, fit valoir Tishona pour défendre la Neuvième, à laquelle elle appartenait. Les autres mères se relaient même pour nourrir le bébé.

— Je me posais justement la question quand tu as dit que Tremeda n’était pas revenue et que le dernier ne compte qu’un an et demi, dit Levela.

— Tremeda n’a plus de lait depuis un an, expliqua Ayla.

C’est ce qui arrive quand on ne donne pas le sein assez souvent, pensa-t-elle. Il y a des raisons, parfois bonnes, pour que le sein d’une mère se tarisse. Elle se rappela qu’à la mort d’Iza, sa mère de Clan, elle avait eu tant de chagrin qu’elle avait négligé son propre fils. Les autres mères allaitantes du clan de Brun avaient accepté de nourrir Durc, mais au fond d’elle-même, Ayla se sentait encore coupable.

Les autres femmes du Clan avaient compris mieux qu’elle que c’était plutôt la faute de Creb. Lorsque Durc pleurait parce qu’il avait faim, au lieu de le mettre dans les bras de sa mère affligée, il le portait à l’une des autres mères. Elles savaient que l’intention était bonne, qu’il ne voulait pas tourmenter davantage Ayla dans son chagrin et elles ne pouvaient pas refuser. Mais, faute de donner le sein, elle avait eu une fièvre lactée et, le temps qu’elle se rétablisse, elle n’avait plus de lait. Ayla serra un peu plus Jonayla dans ses bras.

— Ah, te voilà ! s’exclama Proleva en approchant avec quatre autres femmes.

Ayla reconnut Beladora et Jayvena, les compagnes des chefs de la Deuxième et de la Septième Caverne, leur adressa un signe de tête. Elles lui rendirent son salut. Ayla se demanda si les deux autres avaient aussi un chef pour compagnon. Elle crut reconnaître l’une, l’autre recula en voyant Loup.

— Zelandoni te cherche, poursuivit Proleva, et plusieurs jeunes te réclament, Jondalar. Je leur ai dit que si je te voyais je t’enverrais les retrouver à la hutte de Manvelar, au camp de la Troisième Caverne.

— Où se trouve celle de la Zelandonia ? demanda Ayla.

— Pas loin du camp de la Troisième, juste à côté de celui de la Vingt-Sixième, répondit Proleva en tendant le bras.

— Je ne savais pas que la Vingt-Sixième avait établi un camp, dit Jondalar.

— Stevadal aime être là où les choses se passent. Toute sa Caverne n’est pas au camp principal, mais il y a deux huttes pour ceux qui restent tard et veulent un endroit où dormir. Je suis sûre qu’il y aura beaucoup d’allées et venues, du moins jusqu’aux Premières Matrimoniales.

— Elles sont prévues pour quand ? demanda Jondalar.

— Je ne sais pas, je crois que la décision n’a pas encore été prise. Ayla pourra poser la question à Zelandoni, répondit Proleva en s’éloignant avec les autres femmes.

Ayla et Jondalar partirent eux aussi pour les camps où on les attendait. Lorsqu’ils approchèrent de celui de la Troisième Caverne, Ayla reconnut la grande hutte de la Zelandonia, flanquée de ses annexes. En ce moment, pensa-t-elle en se rappelant la Réunion d’Été précédente, les jeunes femmes qu’on préparait aux Rites des Premiers Plaisirs étaient regroupées dans l’une des huttes spéciales tandis qu’on choisissait pour elles des hommes appropriés. Dans l’autre se trouvaient les femmes qui avaient résolu de porter la frange rouge, de devenir femmes-donii pour cette saison. Elles avaient décidé de s’occuper des jeunes hommes portant la ceinture de puberté, de leur apprendre à comprendre le désir d’une femme.

Les Plaisirs étaient un Don de la Mère et la Zelandonia considérait comme un devoir sacré de veiller à ce que la première expérience des jeunes gens soit appropriée et éducative. Elle estimait que les jeunes hommes et les jeunes filles devaient apprendre correctement à apprécier le Don de la Mère et que des adultes plus expérimentés devaient leur montrer, leur expliquer, en partageant le Don avec eux pour la première fois sous le regard discret mais vigilant de la Zelandonia. C’était un rite de passage trop important pour être abandonné à des rencontres de hasard.

Les deux huttes annexes étaient étroitement gardées car elles exerçaient sur la plupart des hommes une attirance quasi irrésistible. Certains ne pouvaient même pas regarder en direction de l’une ou de l’autre sans se sentir excités. Les jeunes qui avaient déjà été initiés mais n’avaient pas encore de compagne, et d’autres plus âgés, rôdaient autour, dans l’espoir d’apercevoir quelque chose. Presque tous les hommes disponibles voulaient être choisis pour les Premiers Rites d’une jeune femme, même si cela n’allait pas sans une certaine angoisse. Ils savaient qu’ils seraient observés, ils craignaient de ne pas être à la hauteur mais ils éprouvaient quand même une vive satisfaction quand le choix se portait sur eux. La plupart des hommes gardaient aussi un souvenir extraordinaire de la femme-donii qui les avait initiés.

Des restrictions s’imposaient à ceux à qui on confiait la tâche importante de partager et d’enseigner le Don des Plaisirs. Ni les hommes choisis ni les femmes-donii ne devaient avoir de rapports étroits avec les jeunes gens pendant l’année qui suivait la cérémonie. Ceux-ci étaient jugés trop impressionnables, trop vulnérables, et non sans raison. Il n’était pas rare qu’une jeune femme ayant eu une première expérience agréable avec un homme plus âgé veuille la renouveler, malgré l’interdiction. Après les Premiers Rites, elle pouvait avoir tous les hommes qu’elle voulait – et qui voulaient d’elle –, mais cela ne faisait que rendre le premier partenaire plus attirant. Jondalar avait été souvent choisi avant qu’il entreprenne son Voyage et il avait appris à se dérober avec douceur aux invites des jeunes entêtées avec qui il avait partagé une tendre première expérience, et qui essayaient de se retrouver seules avec lui. C’était en un sens plus facile pour les hommes que pour les femmes-donii. Cela se réduisait pour eux à un événement unique, à une seule nuit de Plaisir particulier.

On attendait des femmes-donii qu’elles soient disponibles tout l’été ou plus, surtout si elles étaient acolytes. Les jeunes hommes éprouvaient des désirs fréquents et il fallait du temps pour leur apprendre que ceux des femmes étaient différents, et leur assouvissement plus varié. Mais les femmes-donii devaient faire en sorte que les jeunes hommes ne s’attachent pas durablement, ce qui était parfois difficile.

Jondalar avait eu pour femme-donii la Première, quand on l’appelait encore Zolena, et elle lui avait bien appris les Plaisirs. Plus tard, lorsqu’il était retourné à la Neuvième Caverne après avoir passé plusieurs années dans le foyer de Dalanar, il avait souvent été choisi. Mais à l’époque de sa puberté il était tellement épris de Zolena qu’il refusait toute autre femme-donii. Il voulait en outre qu’elle devienne sa compagne, malgré la différence d’âge. L’ennui, c’était qu’elle éprouvait elle aussi des sentiments pour le beau jeune homme charismatique aux cheveux blond clair et aux yeux d’un bleu exceptionnel, et cela leur avait causé des problèmes à tous deux.

 

 

Parvenus à la hutte de Manvelar, ils frappèrent à un panneau de bois proche de l’entrée et, d’une voix forte, s’annoncèrent. Il les invita à entrer.

— Loup est avec nous, prévint Ayla.

— Il peut venir, dit Morizan en écartant le rideau faisant office de porte.

Ayla n’avait pas beaucoup vu le fils du foyer de Manvelar depuis la chasse aux lions et elle lui adressa un sourire chaleureux. Après l’échange de salutations, elle déclara :

— Je dois aller à la hutte de la Zelandonia. Jondalar, tu peux garder Loup ? Sa présence est parfois perturbante. J’aimerais consulter Zelandoni avant de l’amener là-bas.

Jondalar tourna vers Morizan et les autres occupants de la hutte un regard interrogateur.

— Si cela ne dérange personne…

— Il peut rester, décida Manvelar.

Ayla se baissa, regarda l’animal.

— Reste avec Jondalar, lui dit-elle, accompagnant l’ordre du signe équivalent.

Loup approcha son museau de Jonayla, qui se mit à glousser, puis il s’assit. Avec un gémissement, il regarda Ayla partir avec le bébé mais ne la suivit pas.

Arrivée à l’imposante hutte de la Zelandonia, elle cogna au panneau et annonça :

— C’est moi, Ayla.

— Entre, répondit la voix familière de la Première.

Un acolyte écarta le rideau pour laisser la visiteuse entrer. Malgré les lampes à huile allumées, il faisait sombre à l’intérieur et elle resta un moment immobile. Lorsque que ses yeux se furent accoutumés à l’obscurité, elle vit un groupe assis près de la masse imposante de la Première.

Au moment où Ayla se dirigeait vers elle, Jonayla se mit à s’agiter. Le changement de lumière l’avait perturbée. Deux des acolytes s’écartèrent et la jeune femme s’assit entre eux mais, avant de porter son attention sur ce qui se passait dans la hutte, elle devait calmer son bébé. Elle dénuda sa poitrine, en approcha l’enfant. Tout le monde attendait. Lorsque Jonayla cessa de pleurnicher, la Première dit à Ayla :

— Je suis contente que tu sois venue. Nous ne t’avons pas vue, hier soir.

— Nous ne sommes pas allés au camp principal, répondit-elle.

Ceux qui ne l’avaient pas encore rencontrée furent surpris par la façon dont elle prononçait certains mots. Ils n’avaient aucune difficulté à la comprendre, elle parlait parfaitement la langue et avait une agréable voix grave, mais ces mots résonnaient curieusement dans sa bouche.

— Ton bébé était malade ? hasarda la Première.

Une fois de plus, Ayla expliqua ce qui s’était passé et un homme qu’elle ne connaissait pas s’exclama, étonné :

— Tu leur as construit une hutte ?

— Pas aussi grande que celle-ci, répondit-elle avec un sourire en indiquant de la main l’abri particulièrement vaste de la Zelandonia.

Jonayla cessa de téter et Ayla la souleva, la posa sur son épaule et lui tapota le dos.

— C’était vraiment gentil de ta part, lança une voix d’un ton moqueur.

Ayla tourna la tête, vit que c’était la Zelandoni de la Quatorzième qui avait parlé, une vieille femme maigre dont le chignon laissait toujours s’échapper des mèches grises. Madroman, assis à côté d’elle avec le Zelandoni de la Cinquième Caverne, posait sur Ayla un regard condescendant. C’était l’homme à qui Jondalar avait cassé les dents de devant dans une bagarre lorsqu’ils étaient plus jeunes. Elle savait que Jondalar ne l’aimait pas et se doutait que c’était réciproque. Elle le trouvait antipathique, elle aussi. Avec sa capacité à interpréter les attitudes et les expressions, elle décelait de la fausseté dans ses salutations mielleuses, de l’hypocrisie dans ses protestations d’amitié, mais elle s’efforçait toujours de le traiter poliment.

— Ayla a pris à cœur le sort des enfants de cette famille, intervint la Première en cachant son exaspération.

La Zelandoni de la Quatorzième était pour elle un sujet de contrariété depuis qu’elle avait accédé au rang de Première. Cette femme était toujours en train de provoquer quelqu’un, elle en particulier. La doniate de la Quatorzième estimait que c’était elle qui aurait dû devenir Première et n’avait toujours pas admis que la Zelandoni de la Neuvième, plus jeune qu’elle, ait été choisie à sa place.

— Ils semblent en avoir besoin, dit l’homme qui avait parlé avant elle.

Jonayla s’était endormie sur l’épaule d’Ayla. Celle-ci prit sa couverture à porter, l’étendit par terre, posa l’enfant dessus.

— Je crois que tout le monde n’a pas encore fait la connaissance de mon nouvel acolyte, dit la Première. Des présentations s’imposent.

— Qu’est devenu Jonokol ? demanda le Zelandoni de la Cinquième.

— Il est maintenant à la Dix-Neuvième. C’est la Grotte Blanche trouvée l’année dernière qui l’a incité à aller là-bas. Il veut être sûr que ce qu’on en fera sera approprié. Cette Grotte Blanche a renforcé sa vocation plus que n’importe quelle formation aurait pu le faire.

— Où est la Dix-Neuvième ? Elle vient, cette année ?

— Je crois que oui mais ils ne sont pas encore arrivés, répondit la Première. Je serai heureuse de revoir Jonokol. Ses talents me manquent mais par bonheur Ayla nous est arrivée, avec ses talents particuliers. Elle est déjà une remarquable guérisseuse et nous apporte de nouvelles connaissances intéressantes. Je suis ravie qu’elle ait entamé sa formation. Ayla, veux-tu te lever, que je puisse procéder aux présentations rituelles ?

Ayla se mit debout et fit quelques pas pour se placer devant la Première, qui attendit d’avoir l’attention de tous avant de commencer :

— Je vous présente Ayla des Zelandonii, mère de Jonayla, Protégée de Doni, Acolyte de Zelandoni de la Neuvième Caverne, Celle Qui Est la Première parmi Ceux Qui Servent la Grande Terre Mère. Elle a pour compagnon Jondalar, fils de Marthona, ancienne Femme Qui Commande de la Neuvième Caverne, et frère de Joharran, son Homme Qui Commande actuel. Auparavant, elle était une Mamutoï du Camp du Lion, les Chasseurs de Mammouths qui vivent loin à l’est, et Acolyte de Mamut, qui l’avait adoptée comme fille du Foyer du Mammouth, leur Zelandonia. Elle a aussi été Choisie et marquée dans sa chair par l’Esprit du Lion des Cavernes, son totem, et elle est Protégée de l’Ours des Cavernes. Elle est l’amie des chevaux Whinney et Rapide, de la pouliche Grise et du chasseur à quatre pattes qu’elle appelle Loup.

Ayla ne savait pas si elle avait été acolyte du Mamut du Foyer du Mammouth, mais il l’avait effectivement admise dans son foyer et l’avait formée. La Première n’avait pas mentionné qu’elle avait aussi été adoptée par le Clan, ceux que les Zelandonii appelaient Têtes Plates. Elle y avait fait simplement allusion en disant qu’elle était protégée par l’Esprit de l’Ours des Cavernes. Ayla doutait que la Première comprît pleinement que cela signifiait qu’elle avait appartenu au Clan, du moins jusqu’à ce que Broud la répudie, la maudisse et la force à partir.

L’inconnu qui avait parlé s’approcha des deux femmes et déclara, en tendant les mains :

— Je suis Zelandoni de la Vingt-Sixième Caverne et au nom de Doni je te souhaite la bienvenue à cette Réunion d’Été dont nous sommes les hôtes.

Ayla lui prit les mains.

— Au nom de la Grande Mère de Tous, je te salue, Zelandoni de la Vingt-Sixième Caverne.

— Nous avons trouvé une nouvelle profonde. Elle résonne merveilleusement quand nous y chantons, expliqua-t-il avec un enthousiasme évident. Il faut ramper pour y pénétrer et on ne peut s’y tenir qu’à trois ou quatre. Je pense que l’entrée est trop étroite pour la Première, j’en suis désolé, mais c’est à elle d’en décider. J’ai promis à Jonokol de la lui montrer dès qu’il arrivera. Comme tu es maintenant acolyte de la Première, Ayla, tu aimerais peut-être la voir aussi.

D’abord surprise par l’invitation, Ayla sourit et répondit :

— Volontiers.

Le Pays Des Grottes Sacrées
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